Charles Serre grand patron du secteur Dordogne-Nord

Rédigé par Alain dans la rubrique Portrait, Brigade Rac

Extrait de l'ouvrage La brigade Rac par Capitaine Fred avec des précisions de l'ouvrage Résistants du Périgord par Jean-Jacques Gillot et Michel Maureau.

Charles Serre a été le grand patron du secteur Dordogne Nord, des premiers tâtonnements de 1941 jusqu'à son arrestation à Paris le 22 janvier 1944.

Être exceptionnel, d'une volonté farouche, toutes ses pensées et tous ses actes étaient axés
Photographie prise en 1943.
Avec le tombereau de leur ferme de Chavirat,
Charles et Charlotte Serre conduisent du
ravitaillement aux maquisards

vers le grand but final : débarrasser la France du joug de l'ennemi. 
Nous avons pu qualifier Charles Serre de « grand commis-voyageur du mouvement combat », cette organisation clandestine créée en zone sud par Henri Fresnay. Le terme est tout à fait exact ; en effet, il faut visiter la « clientèle » c'est-à-dire détecter les bonnes volontés, réchauffer les cœurs et ranimer les courage. Le chef de secteur qu'il est doit mettre chacun à sa place dans le réseau qu'il dirige, les chefs de sous-secteurs qui seront en même temps (en principe) les commandants de compagnie de l'armée secrète, les responsables du N.A.P. (Noyautage Administrations Publiques) ainsi que ceux du service des faux papiers. Ensuite, quand il y aura les maquis, il faudra aussi veiller sur eux et les protéger de toutes les embûches qui les menacent, notamment les débarrasser des dénonciateurs, éliminer les bavards et, par-dessus tout, lutter contre tous les rouages du gouvernement de Vichy qui sont au service de l'Allemagne.

Charles Serre a beaucoup d'atouts dans son jeu. Il habite sa propriété de Chavirat à quelques centaines de mètres de Champagnac-de-Belair. Là, il est moins observé par les indiscrets que s'il avait été dans l'agglomération, et ses allées et crets que inaperçues. D'ailleurs, sa profession de notaire rend plausible des déplacements dans tous les sens, et il a de « vrais clients » avec lesquels il n'est pas question de Résistance. Il a aussi un agent de premier ordre en la personne de son épouse, Charlotte Serre.

Il est en liaison avec l'O.R.A. dont Christophe. Avec Camille Bedin, Raymond Boucharel et Jean Worms, il participe à la création du mouvement Libération en Périgord. En 1943, il structure son mouvement en Dordogne Nord, ainsi, le 15 juillet, il préside chez lui, une réunion dont sort, en filigrane, l'organigramme de la future brigade Rac. Rodolphe Cézard, son adjoint, est nommé, à l'unanimité, chef militaire de Dordogne Nord.
 
Photographie prise en 1942 à Chavirat.
De gauche à droite ; Jean Scelles, Mme Serre (mère) ;
Charlotte Serre ; la jeune Marguerite Lathiere et Charles Serre
Après son arrestation, n'allez pas croire qu'il est abattu et que la hideuse atmosphère de « nuit et brouillard » à commencé à dissoudre son énergie. Pas de tout, il est d'une trempe exceptionnelle, et malgré la nourriture infecte et insuffisante, non seulement il fait face mais il reste le meneur d'hommes qu'il a toujours été. Interné à Fresnes puis à Compiègne, séjourne d'abord au sinistre camp de Dachau, ensuite il est expédié à Neckarguerack.

Bien qu'atteint de typhus et de pneumonie double, cet homme intraitable prend l'initiative de créer parmi ses camarades une organisation clandestine qui, au moment de l'avance des troupes américains, sera en mesure de prendre en main l'administration des camps, la direction des déportés, celle des prisonniers de guerre et des travailleurs requis civils de la région du Neckar. Bien des vies humaines seront sauvées par cette organisation. Charles Serre est mort prématurément en 1953, a cinquante-deux ans, laissant le souvenir d'un homme supérieur et d'une exceptionnelle loyauté.
Nous avons retrouvé dans ses papiers un écrit d'un intérêt poignant : « la vie secrète au camp de Royal-Lieu de Compiègne ».

C'est un récit qui nous révèle ses impressions du moment :

C'est étrange, mais en arrivant à Compiègne, on a l'impression de retrouver la liberté. La rupture avec le régime de la prison est brutale, et complète. Plus de cellules aux fenêtres fermées, fini les grincements de verrous, le déclic des judas manœuvrés par la sentinelle, l'anxiété qui naîtra chaque matin au petit jour lorsque les gardiens entrouvrent la porte pour glaner, en prononçant le mot « tribunal », l'approvisionnement quotidien des chambres de torture et même des poteaux d'exécution. Nous avons enfin de l'air et de la lumière, à la place des grands murs, des chemins de ronde et des préaux où on nous fait la charité de nous parquer comme des ours dans leur fosse parfois cinq minutes toutes les trois semaines.

Il y a du vent au ciel où courent les nuages et là-bas,  près des fils de fer, il est possible de
Juin 1945
Charles Serre au milieu,
rentrant de déportation,
est fêté à Champagnac-de-Belair
s'étendre voluptueusement sur une verdure maigre et rousse, brûlée par le soleil et usée par les piétinements. Nous savons que nous devons partir pour l'Allemagne mais les camps de déportation ne nous ont pas encore révélé leur mystère. Les initiés affirment que, d'après nos responsabilités, nous serons répartis entre une variété de régimes allant des mines de sel et des forteresses jusqu'au travail dans les fermes ou la simple résidence surveillée. À vrai dire, en juin 1944, tout ce programme ne nous préoccupe guère. Nous attendons la délivrance d'un jour à l'autre, les avions alliés croisent dans le ciel et nous savons parfaitement que le débarquement a eu lieu. Mais comment prendre part à la lutte. C'est alors que j'ai la révélation d'un aspect insoupçonné de la vie de Royal-Lieu. La Résistance a tissé sa toile jusque-là. Des filières existent pour s'entraider, tenter de s'arracher au départ, dépister les agents de l'ennemi, faire circuler les consignes, contacter les hommes résolus à lutter par tous moyens dès que les circonstances le permettront.

 

Je retrouve deux camarades dont j'avais apprécié le courage en Dordogne lors de l'organisation des premiers maquis et que la Gestapo a arrêtés avant moi : le docteur Marty, chirurgien-dentiste à Périgueux, l'un des premiers militants de « Combat » et mon vieil ami Camille Bégin, député de la Dordogne, organisateur de « Libération » depuis le début de la clandestinité. Nous prenons patiemment possession des leviers de commande et organisons des équipes, prêtes à intervenir. Dans chaque bâtiment nous avons nos hommes, le capitaine d'Ussel, mort dans les camps et célèbre organisateur des maquis de Corrèze, le colonel Lamireau et les agents de son réseau qui, sans se cacher, se mettent au « garde-à-vous » devant lui. Tout ce travail de termites se fait pendant qu'un homme jovial, bon enfant, parcourt la grande place, semant des galéjades avec un fort accent du Midi, et ceci tout en se promenant en compagnie de dignes princes de l'Église : c'est le président Albert Sarrau, qui, pour avoir, contrairement à ses propos, laissé Strasbourg sous le feu des canons allemands, est maintenant sous celui plus modeste des miradors. Ailleurs, c'est le marquis de Moustiers, gentilhomme de la Renaissance à l'allure martiale et gaie, qui trouvera une mort horrible à Neuengan. L'évêque de Montauban, Monseigneur Teas, qui pour nous veut être un camarade et va volontiers éplucher les patates.
 
Hélas, nos beaux rêves de reprendre la lutte ne se réaliseront pas ; ce ne sera qu'en fin mars 1945, à Osterbrucken, au nord du Nectar, que nous trouverons nos libérateurs. Sur les deux mille huit cent cinquante du convoi du 2 juillet 1944 nous ne serons plus que cent trente et un survivants.
 
Extrait du « Journal » de Charles Serre
 
14 SEPTEMBRE 1942 :

Pour un chrétien, mourir n'est pas vraiment mourir. C'est accéder à une vie nouvelle que seules
14 juillet 1946 - Charles Serre reçoit des mains du
Gouverneur des Invalides à Paris, la Croix de Guerre
avec palme et la Légion d'Honneur
nos attaches terrestres nous empêchent de discerner. Mais pour une patrie, mourir ce serait vraiment mourir, car il n'y a pas d'au-delà pour les peuples : il n'y a pour eux qu'un ici-bas, et disparaître d'ici-bas ce serait fini à jamais. Bien des peuples ont disparu. Bien des patries sont mortes. Est-ce le destin de la France de mourir ? Une telle perspective révolte notre sensibilité, notre cœur nos souvenirs. Elle révolte aussi notre raison : si le sang français cessait de couler dans les veines humaines, le corps tout entier de l'humanité en serait anémié. Il y aurait des flammes qui s’éteindraient dans le regard des hommes, des tendresses qui se refroidiraient, des visions qui seraient interdites à la pensée des hommes. Pour apaiser, pacifier angoisses et tumultes, il faut la France, la France éternelle, c'est-à-dire ce pays étrange où sont accrochées, pour illuminer un monde plein de ténèbres et de monstrueuses outrances, les étoiles de l'esprit.

Il faut arracher l'être à l'avilissement, à l'apathie, à l'abêtissement. Mais il ne faut pas aimer l'action la lutte pour la lutte. La paix reviendra. La mort surgira. Quel sens donnerons-nous à notre fin dernière si nous méconnaissons l'amour de la paix ?.

27 NOVEMBRE 1942 :

La flotte de Toulon s'est sabordée pour ne pas tomber sous les Allemands. Honte à Vichy et gloire à nos marins.

16 JANVIER 1943 :

Non, on ne se bat plus pour les chefs. C'est pour nous-mêmes qu'on se bat, non pas parce que c'est utile et conforme à nos intérêts matériels, mais parce que c'est est beau... Venez les copains, venez je vous le dis avec amour, avec un grand rêve sur la face, venez amis, ce n'est pas pour leur grandeur qu'on se bat, c'est pour notre grandeur à nous.

A lire également :

Charlotte Serre - Résistant de l'A.S. Dordogne-Nord (Lien)