Les noms de guerres de la Résistance

Rédigé par Alain dans la rubrique Document et livrePortrait

Extrait du chapitre Les surnoms de l'ouvrage Messages Personnels par Bergeret (Maurice Loupiaschef de l'A.S. Dordogne-Sud. Le livre a été publié en 1945.



La nécessité de déguiser son identité créa dans le maquis, les noms de guerre. Chacun eut loisir de se baptiser et même se rebaptiser, car il était prudent de changer fréquemment de surnom. Comme on n'est jamais si bien servi que par soi-même, bien des chefs se donnèrent des noms célèbres.

Roux et Bergeret
Libération de Bergerac
C'est ainsi que fleurirent les Carnot, les Bayard. Puissent-ils être généraux à vingt-cinq ans et mourir sans reproche !
Mais n'allez pas croire que notre brave Marcel Feyri s'appelait François 1er parce que, dans un accès de mégalomanie, il se croyait « le Roi Chevalier » ressuscité. Non, ils étaient plusieurs François, et comme il avait un rôle important, je lui dit : "Pour vous distinguer de tous ces François, vous serez François 1er."

Quant à savoir pourquoi Bousquet s'appela De Morny, c'est resté pour moi un mystère. Les noms de femme étaient très en honneur, mais il ne faut pas voir là une coquetterie chevaleresque. Quand un nom de femme était surpris par un espion dans une conversation, cela le mettait généralement sur une fausse piste. C'est ainsi que Cerisier se faisait appeler Léontine, et quand on connaît le massif et rude Cerisier, cela ne manque pas d'un certain piquant. Badaroux avait pour surnom Alberte, et le nom de guerre de Maigre était Annic. Cependant, si Canale se nommait Christine, ce n'est pas pour ces raisons. Il n'avait que des garcons et portait le nom de la petite fille que sa femme et lui espéraient bien avoir un jour.


Le choix du surnom était aussi parfois un indice de modestie. Le colonel Adeline se nommait simplement Marty, nom très répandu dans la région, et Santrailis avait dit : "appelez-moi Joseph ! c'est un nom ridicule ainsi je serai le seul à m'appeler comme cela."
Pour ma part, je m'appelai d'abord Liber, puis Lelarge, jeu de mot bien innocent puisque j'avais pris le large. Je choisis ensuite le nom de Bergeret qui m'identifiait à Bergerac, mon secteur. Des souvenirs littéraires et l'ombre d'Anatole France ajoutaient un charme à ce nom. Il est vrai qu'on  m'a confondu également avec le général Bergeret, ce qui m'a fait moins plaisir. Dans l'ensemble, ce nom a pour moi des résonances émouvantes, et je ne suis pas du tout fâché quand on me le donne encore. A la fin de juin, je dus pourtant le quitter. Presque tout le monde savait que Bergeret était le chef de l'Armée Secrète, et il aurait suffi d'entendre ce nom pour savoir où était situé le P.C. Je m'appelai donc Vidal, décidé à redevenir Bergeret le plus rapidement possible.
D'ailleurs, si cette précaution avait été utile dans la clandestinité, à partir du 6 juin elle était beaucoup moins importante. Mais c'était un jouet comme un autre. On n'avait pas tant d'amusement dans le maquis.

Je ne voudrais oublier personne. Jean Dupuy n'avait pas eu beaucoup plus d'imagination que moi. Après son séjour dans un camp de concentration, il se baptisa Lecamp. Le général Bernard était un ancien officier colonial. Il prit le nom de Brousse. Marcou venait de lire le livre de Giono et choisit le pseudonyme de Regain. Alessandri se contenta de son propre prénom : Bertrand.

Le colonel Druilhe, qui était à Monpazier, s'appelait Driant, en souvenir de certain autre colonel.
Paquette était dit Lelong, on devine pourquoi. Quand Pinson se fut fait assez remarquer pour que son nom fut compromettant, il prit celui de Loiseau. Un autre se nomma Gambetta - pauvre Gambetta ! - et par antinomie le plus vieux de la bande était connu sous le nom de Benjamin.


Hercule et Pierre Michaud
Limoges 1944
Souvent, l'apparence physique déterminait le baptême : Hercule (Roger Ranoux), Double-Mètre, Fils-de-Fer, Vert-de-Gris, Le Frisé (Albert Rigoulet).

Parfois, c'était l'emploi occupé : André qui conduisait un side-car, s'appelait LeSide tout bonnement, mais Lustac qui quoique médecin s'occupait des renseignements, continuait à s'appeler Toubib. Levy qui était chargé de mon secrétariat, avis pris le pseudonyme d'Archives.
Réné Boilet, le chef départemental A.S., malgré son regard d'acier bleu, portait le nom aux douces syllabes de Gisele.
Mais le chef F.F.I. Gaucher, grand gaillard aux multiples medailles, était connu sous le nom de Martial. Schwartzentruber, le chef de ma centurie d'Alsaciens-Lorrains, avait choisi Lenoir, ce qui était une heureuse simplification. Arnault, de Beaumont, s'appelait Leduc, et Duranthon, qui ses fonctions attachaient à la ville de Bergerac, se nommait Delaville. Le terrible Menier, autrefois gardien-chef de la prison de Bergerac, ne rêvait que d'étriper des Boches. On l'appelait Boyaux-Rouges. Quant à Durieux ce sympathique et jeune cavalier qui consentait à combattre à pied, Paquette, entre deux bouffées tirées de sa bonne pipe, l'avait baptisé Foutriquet.

Le colonel Moressée, était-ce par goût des mathématiques ? était-ce pour montrer, au contraire, qu'il n'était pas un X ? était-ce par économie ? avait réduit les frais à la simple lettre Z.Enfin, le romancier André Malraux avait sous sa houlette les troupeaux rebelles de la Dordogne, de Corrèze et du Lot, et peut-être, pour cette raison, s'appelait Berger.

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