Inauguration du Mémorial de la Brigade Rac

Rédigé par Alain dans la rubrique Brigade Rac, Lieu de mémoire

L'inauguration du Mémorial de la brigade Rac se déroula le 28 août 1977 à l'intersection de  la nationale 21 et de l'avenue de Verdun, à Thiviers en Dordogne.

Nous vous présentons les photographies de l'inauguration puis le discours des officiels.

A lire également : 
  • Mémorial de la brigade Rac à Thiviers (lien)
Le chantier
Le monument recouvert avant l'inauguration
Mr Lachaize, Sous-Préfet de Nontron
Mr Jaccou, maire de Thiviers (ancien de la 9ième compagnie)
Tom (Jean Nicard) et colonel Rac (Rodolphe Cézard)
De gauche à droite : Capitaine Fred, Rac et Tom


Discours de Rodolphe Cézard (Rac) :

Aujourd’hui, les mots ont repris toute leur signification tout leur sens. Certains ont dit, d’autres diront peut‑être encore, qu’il est bien tard, trop tard, pour honorer ces volontaires qui ont été jusqu’au sacrifice suprême.
Nous n’avons cessé de le faire, moins bien peut‑être que souhaité, mieux probablement que beaucoup ne le feront jamais.
Et puis, est‑il besoin d’expliquer ? C’est si simple.
Nous les connaissions, ils étaient nos amis, nous les aimions. Nous leur avons élevé ce Mémorial qui marquera pour la postérité notre fidélité à l’esprit de la Résistance.

Vous avez eu l’extraordinaire chance d’échapper aux pièges, aux tromperies, aux trahisons, aux attaques sournoises de l’ennemi ; alors il n’est qu’une voie bien tracée : faire solennellement le serment de rester unis et de défendre, comme nous l’avons fait il y a plus de trente ans, la pierre et les idées, car il est juste d’affirmer que les vraies amitiés se nouent sur les bancs de l’école ou au combat.

Que ceux qui ont espéré notre naufrage, qui ont eu peur de nous épauler, qui plus tard se sont faits les artisans maladroits de la critique, méditent aujourd’hui notre comportement.Nous avons donné l’exemple, nous sommes prêts à continuer avec le même enthousiasme, la même flamme.
Nous ne voulons pas de déchirements, de revanches, de rancunes qu’emporteraient les mauvais vents. La réussite de cette journée, nous la devons à l’ardente foi, à la légendaire ténacité, à l’exemplaire courage de notre ami Jean Nicard, capitaine Tom. Merci, toi mon frère, d’avoir su mener à bien cette grande tâche.
Mais ce 28 août nous le dédions à deux de nos plus chers compagnons : Charles Serre et Georges Lautrette.Nous admirons ce qu’il y avait de beau et de grand en eux. Qu’ils nous pardonnent, ainsi que tous nos morts, de n’avoir pas toujours fait tout ce que nous aurions du faire, car on n’accomplit jamais plus que son devoir.

Ce sont ces sentiments profonds capables d’effacer toutes les divergences, qui ont fait la Résistance ; c’est avec eux que l’on écrit l’Histoire. Nous ne tirons aucune vanité de l’action que nous avons menée, nous n’en voulons aucune récompense.
La victoire a été chèrement acquise dans la grande bataille de tous les temps ; c’est pourquoi nous te demandons, passant, voyageur, de tourner ton regard vers cette croix qui te rappellera que le chemin de la Liberté a été long et dur.

Nous nous inclinons devant les familles de nos chers disparus, et nous saluons respectueusement Madame Charles Serre et Madame Nicolas, fille de Georges Lautrette. Qu’elles veuillent bien accepter l’hommage de tous leurs amis. Que tous ceux qui ont œuvré pour l’édification de ce Mémorial soient remerciés :
- la Ville de Thiviers, son maire et son conseil municipal,
- les administrations,
- le 5ième Régiment de chasseurs,
- le clergé, 
- les entreprises : Granitières du Périgord, Fonderie de Riiclle, Papeteries de Guyenne, Etablissements Vialle et Doumen,
- les services de sécurité, police et gendarmerie,
- le personnel municipal,
- les municipalités et les amis qui ont apporté leur aide généreuse,
- L’O.R.T.F., la presse écrite et parlée,
- notre maquettiste,
et les volontaires qui ne se font jamais remarquer que par leur modestie, et que nous aimons particulièrement.
Je n’oublierai pas les personnalités civiles et militaires qui ont bien voulu se joindre à nous en cette journée mémorable. Je n’oublierai certes pas nos amis alsaciens et lorrains et nos camarades qui n’ont pas hésité à effectuer de longs déplacements.

Nous associerons à notre hommage nos vaillants aînés de 14‑18 et nos cadets qui ont combattu outre‑mer. Vous me permettrez aussi d’adresser un mot de reconnaissance à l’équipe qui a écrit l’ouvrage « La brigade Rac », pour lequel la souscription est ouverte.
Souhaitons qu’à proximité de cette croix de Lorraine, Thiviers vive dans la quiétude et la sérénité d’une France toujours libre et indépendante.

Discours de Mr Jaccou, maire de Thiviers et ancien de la 9ième compagnie :

A tous nos camarades de la Brigade à tous nos amis, connus ou inconnus, venus des quatre coins de France, à ceux qui furent les pionniers de la Résistance en Dordogne, aux personnalités civiles, militaires et religieuses, aux élus, parlementaires et conseillers généraux, maires et élus municipaux, qui sont avec nous aujourd'hui, au nom de cette ville de Thiviers qui nous est chère, je souhaite la plus cordiale bienvenue.
Et je vous remercie, malgré les distances, malgré les vacances, malgré le temps, d'avoir répondu présents, après plus de trente ans, présents, une fois de plus, une fois encore, par centaines à ce pèlerinage aux sources à ce rassemblement du souvenir, à cet hommage rendu à nos camarades disparus.
Sur une plaque de marbre un peu ternie, scellée sur la façade de notre Hôtel de ville, sont gravés ces mots : « A Thiviers, sous l'occupation nazie l'état‑major de l'armée secrète Dordogne‑Nord prépara la Brigade Rac, puis le 50ième R. I. Deux cent cinquante‑deux d'entre eux sont morts, pour la liberté ». Combien n'avaient pas dix‑huit ans!
Par‑delà et au‑dessus des contingences quelquefois misérables et sordides de notre vie quotidienne, ceux d'entre nous qui ont été privés de cette liberté en connaissaient le prix.Ils ont souffert dans leur coeur et dans leur corps pour la retrouver; ils se sont battus pour la défendre. C'est certainement l'une des raisons essentielles, même si elle n'apparait que confusément, de notre présence ici.
Cette manifestation d'aujourd'hui ‑ grandeur et simplicité souvenir et fidélité, fraternité et dignité, ainsi que vous l'aviez souhaité mon Colonel, ainsi que nous le souhaitions tous ‑ ce mémorial de granit, cette pierre imposante où sont gravés la croix de Lorraine et l'hommage à nos morts sont à la fois un symbole et un message aux générations actuelles et futures : il n'y a pas de bonheur possible sans liberté, mais il n'y a pas non plus de liberté sans courage.
« Ce fut naguère la mission, et ce sera, pour toujours, l'honneur de la Résistance d'avoir voulu faire, et d'avoir fait d'un pays humilié, abattu, opprimé tel que l'était la France, un peuple fier, un peuple debout, un peuple libre. »

Discours de Mr Lachaize sous-préfet de Nontron :


Permettez‑moi tout d'abord de saluer l'ensemble des personnalités présentes et notamment vous, Madame, sous la présidence de laquelle est placée cette émouvante cérémonie du souvenir, vous qui, pour avoir doublement souffert dans votre affection et votre chair, connaissez mieux que quiconque le prix de la Résistance que nous honorons aujourd'hui au travers de ses martyrs.
Je dois également excuser M. le Préfet, dont l'absence est motivée par des impératifs professionnels qui le retiennent hors du département. Il m'a chargé de le représenter officiellement et de l'associer à l'hommage rendu aux victimes de la guerre et des maquis.
Combattants volontaires de la Résistance, soldats de l'ombre et de la nuit, anciens de l'Armée Secrète de Dordogne‑Nord, vous voici donc de nouveau réunis, après Saint‑Saud et Nontron, pour commémorer le sacrifice suprême de deux cent cinquante‑deux de vos camarades de combat.
Vous avez confié à la pierre, à ce bloc de granit, matériau dur, noble et pur, à l'image de ce que fut la vraie Résistance ‑ le soin de perpétuer, au travers des générations, le souvenir des disparus. Témoignage de votre reconnaissance, ce monument doit être aussi un acte de foi et d'espérance en l'avenir.
Cette cérémonie, que vous avez voulue à la fois grande et simple, doit être pour nous tous, comme je l'ai déjà dit devant le monument de la Résistance à Nontron le 14 juillet dernier, l'occasion solennelle de méditer sur la signification profonde des raisons qui ont conduit ces hommes à exposer puis à sacrifier leur vie. A quoi servirait, en effet, d'élever des monuments commémoratifs si nous ne devions pas tirer pour l'avenir les leçons du passé et des événements qui ont suscité leur érection ?
L'inscription portée sur la stèle nous rappelle que ces hommes sont « morts pour la France et la Liberté ». Ils sont morts pour rendre à la France, dans la dignité et l'honneur, sa place parmi les Nations libres.

L'évocation des périls qu'ils ont encourus, des souffrances qu'ils ont endurées ne les ressusciterait point, pas plus qu'elle n'apaiserait le chagrin de ceux et de celles qui les ont aimés ou simplement connus. Mais pour que le sacrifice de leur vie n'ait pas été inutile, l'idéal qui inspirait leur action, tout au long des sombres années d'occupation, doit continuer de hanter l'âme des vivants que nous sommes.

En élevant ce monument à la mémoire de leurs camarades, les anciens maquisards de l'Armée Secrète de Dordogne‑Nord ont voulu prouver qu'ils n'ont pas oublié et qu'ils n'oublieront jamais.Ne pas oublier c'est, certes garder au plus profond de ses pensées et de son coeur le souvenir des disparus. Mais c'est aussi, au‑delà de tout esprit de haine et de vengeance, rester vigilants pour éviter que notre pays ne sombre à nouveau dans le cauchemar qu'il a vécu, rester mobilisés pour que les valeurs et les idéaux pour la défense desquels ces hommes ont laissé leur jeunesse et leur vie dans le maquis ou la lente et inhumaine agonie des camps de la mort ne soient pas à nouveau piétinés et bafoués.
Devant la recrudescence des provocations nazies et les résurgences du fascisme, devant le péril latent que font peser sur notre société libérale les doctrines et les principes inspirant l'action de certaines factions ou groupuscules politiques, alors qu'un peu partout dans le monde les Droits de l'Homme ‑ pourtant solennellement reconnus et proclamés ‑ sont ostensiblement ignorés ou bafoués, alors que des hommes continuent d'être arrêtés, torturés et massacrés au nom d'idéologies que l'on croyait à jamais ensevelies sous les ruines du III Reich, cette exhorte ne doit pas nous laisser insensibles.
Il nous faut, au pied de ce sobre et beau monument, réaffirmer solennellement notre volonté de tout mettre en oeuvre pour défendre cette chère et fragile liberté que nos camarades ont reconquise, voici quelque trente‑cinq ans, au prix de leur vie, notre volonté de ne pas laisser brader l'héritage qu'ils nous ont légué. Ne pas oublier, c'est également se rappeler combien ces hommes, qui venaient des horizons les plus divers et qui étaient souvent opposés par leurs convictions politiques et leurs croyances religieuses, étaient fraternellement et solidairement unis dans le combat de l'ombre. Cette simple évocation doit constituer la plus haute raison de faire taire, dans la paix incertaine que nous connaissons, comme hier dans la lutte et la tourmente, les querelles stériles et les divisions mesquines qui empoisonnent notre vie nationale et qui peuvent nous conduire, si nous n'y prenons garde, à des lendemains troubles.

Et puis, le but déclaré par les organisateurs de cette belle et émouvante cérémonie, c'était de « perpétuer parmi les jeunes l'idée de sacrifice pour un Drapeau et son Pays ». Je ne sais si le but recherché aura été atteint. Mais à une époque où tout est prétexte à contestation, où l'esprit civique semble désuet, où les jeunes générations, éprises de nouveautés et d'aspirations parfois indéfinissables et déroutantes, ont tendance à remettre en question les valeurs traditionnelles, il n'est pas superflu de rappeler à nouveau à ces jeunes que si ils ont l'immense chance de vivre dans un pays libre, ils la doivent à ceux de leurs aînés qui ont su, dans un élan spontané, sublime et désintéressé, sacrifier leur propre jeunesse et les plus belles années de leur existence pour s'opposer à l'humiliation, à l'asservissement et à la barbarie.
II faut que ces jeunes comprennent que ce n'est pas être démodé rétrograde ou réactionnaire, ni même « bourgeois » ou bêtement cocardier que d'aimer encore son pays en 1977, d'en être fier et de vouloir préserver tout ce qu'il représente pour nous contre les agressions extérieures mais aussi contre les menées subversives de quelques minorités tapageuses.
Faudrait‑il donc attendre d'avoir à nouveau perdu la liberté pour avoir le droit d'être patriote?

Mesdames et Messieurs, quitte à me répéter devant nombre d'entre vous, je terminerai mon propos sur le même souhait déjà formulé lors des précédentes inaugurations. Puissent la leçon et le message qui montent de ce mémorial être entendus de ceux qui ont le privilège de vivre, et de vivre libre, et notamment de nos enfants!.
Alors seulement le sacrifice suprême consenti par vos deux cent cinquante‑deux camarades de combat ne l'aura pas été en vain, et la cérémonie d'aujourd'hui aura un sens...